Entre déférence et esprit critique, les médias anglais se mobilisent depuis plusieurs semaines pour couvrir cette page historique de la monarchie.
Àla veille du couronnement, les plateaux de télévision s’installent devant Buckingham Palace. Le présentateur de la BBC interroge des Anglais, vêtus aux couleurs du pays, qui campent le long du Mall, l’avenue qui mène au palais, pour être aux premières loges, samedi, lors de la procession la plus impressionnante depuis le couronnement de la reine Elizabeth II.
La presse diffuse les images de l’ultime répétition des gardes et de leurs chevaux accompagnant un carrosse vide . Et aussi celles d’un faux couple Harry et Meghan qui fait sensation parmi les curieux. « L’atmosphère est déjà en train de s’imposer ici », sourit un journaliste de la BBC. Une correspondante royale de Sky News raconte sa visite dans Westminster Abbaye, où se déroulera la cérémonie : « La scène est prête pour le spectacle. »
Coronation desk
Au milieu des médias du monde entier, comment faire preuve d’originalité ? Pour une journaliste du Mirror, il faut « tenter de s’identifier à la famille royale, mission par nature impossible ». « Pendant la cérémonie, il y aura des moments un peu ennuyeux, donc nous prévoyons des experts en langage corporel qui décrypteront les visages et interactions. » Selon elle, les histoires qui marchent le mieux sont celles des enfants royaux, et Kate est « en ce moment » la plus populaire.
À la rédaction du Mirror, un coronation desk est dédié à la couverture de l’événement depuis plusieurs semaines et tout le bureau sera mobilisé le jour J, « pour que, dans cinquante ans, nous puissions avoir une image précise de ce qu’il s’est passé ». Ce vendredi, Kate et William font la une des tabloïds, pinte à la main : ils se sont rendus dans un pub en prenant le métro – certes, bien gardé. « Cheers ! » titre le Sun.
Mais au-delà de ces images festives, la presse conserve un esprit critique. Une polémique a occupé la scène ces jours-ci : l’hommage au roi, traditionnellement réservé aux pairs du royaume, sera étendu au peuple, comme l’a annoncé l’archevêque de Canterbury. Une simple « invitation », a-t-il corrigé face aux moqueries. « Cela relève plus d’une république populaire stalinienne », écrit un chroniqueur du Daily Mail.
Animateur sur TalkTV, Piers Morgan, pourtant fervent défenseur de la monarchie, préfère être « garrotté » que prêter allégeance aux héritiers de la couronne, les princes Harry et Andrew. Dans l’émission d’ITV, Loose Women, la question est posée au public présent : allez-vous prêter allégeance au roi ? Personne ne lève la main. Le biographe de Charles, Jonathan Dimbleby, estime que même le roi aurait trouvé cette idée « odieuse ».
Dans un souci d’objectivité, le documentaire de Sky News My King, my Country ? interroge des habitants des quatre coins du pays défavorables à la monarchie. Parmi lesquels : des membres du mouvement Republic, le fondateur des Black Studies à l’université de Birmingham, ou encore des Écossais. « Que vous le vouliez ou non, ce couronnement aura lieu, conclut le journaliste. Ce qui est moins certain, c’est de savoir si nous en verrons un autre. » La BBC donne aussi la parole à ceux qui, par conviction, ne regarderont pas le couronnement.
Le coût de la couronne
Reste le coût des festivités. Selon le Mirror, le montant pour le contribuable, qui paye la majeure partie de la note, pourrait s’élever à 250 millions de livres – soit cinq fois plus que celui de la reine Elizabeth II (en livres constantes) – principalement du fait d’une sécurité renforcée : il faut parer à des menaces terroristes mais aussi écologistes et républicaines. Plus de la moitié des lecteurs du Daily Express estiment que le roi devrait payer de sa poche. Le Daily Mail indique cependant que le couronnement – avec l’Eurovision la semaine prochaine à Liverpool – devrait rapporter un milliard de livres sterling (1,1 milliard d’euros) à l’économie britannique.
Le Guardian est allé plus loin en publiant une mini-série intitulée « Le Coût de la couronne ». David Pegg est l’un des sept journalistes ayant participé à l’enquête qui a commencé en octobre. « Tout le monde parle du couronnement et nous voulions participer à cette conversation, pas simplement de façon servile et déférente. » Le journal, de gauche et républicain, estime la fortune royale à 1,8 milliard de livres (2 milliards d’euros) . Mais il est impossible de connaître le coût de la monarchie pour le contribuable. « J’ai travaillé sur les Panama Papers et c’est très compliqué, mais à la fin vous obtenez une réponse. Avec la monarchie, il n’y en a pas. L’exemple le plus clair, ce sont les bijoux. Il y a une grande confusion entre ce qui leur appartient et ce qui appartient à l’État. C’est très frustrant. »
À la veille de son couronnement, le roi Charles serait « détendu », selon la presse. Le Times révèle que 62 % des Britanniques considèrent qu’il sera « un bon roi » – il y a un an, seulement 39 % le pensaient. Mais une inquiétude plane pour le jour J : la pluie, voire l’orage, pourrait bien venir gâcher la fête.
Par Laure Van Ruymbeke